Auteur Pierre REKLIN peintre

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Publié le 20 septembre 2020

Cette catégorie infatuée et dédaigneuse dite "art contemporain" a de bonnes raisons de s’approprier la qualité d’art pour en un mot vassaliser et bâillonner l’art tout entier. Tout ce qui n’appartiendrait pas au monde de l’art dit contemporain serait de facto plongé dans un anonymat humiliant et le priverait de patronyme.

"Art contemporain", une formule pour définir le territoire protégé d’un art exclusif et idiopathique au sein de l’art en général ? L’art pour tout le monde et l’art contemporain pour les autres...Une appellation à la mode. Un label de respectabilité. Pourquoi ne pas dire art actuel ? Ce qui serait en accord avec la réalité. Il est clairvoyant de constater que cette catégorie infatuée et dédaigneuse dite "art contemporain" a de bonnes raisons de s’approprier la qualité d’art pour en un mot vassaliser et bâillonner l’art tout entier.

Dans la littérature générale ou spécialisée, il est fréquent de trouver derrière le nom d’un artiste vivant la mention "artiste contemporain". Dire d’un artiste vivant qu’il est contemporain paraît suspect et problématique. L’oxymore est présent. L’artiste en question ne serait ni artiste peintre, ni sculpteur, ni plasticien, ni musicien ou que sais- je encore, il possèderait un titre de noblesse qui le mettrait d’autorité en dehors et au- dessus des catégories intelligibles.

L’adjectif contemporain sacralise l’homme qui le porte et lui confère de jure une distinction rendant inutile toute précision concernant son véritable métier. Il est contemporain voilà tout. Et cela suffirait pour lui faire une place légitime et autorisée dans le savant algorithme du marché de l’art vivant. Dans une tribune parue dans le

Monde en 2010 à propos de l’exposition des œuvres de Takashi Murakami à Versailles, qualifiées de "jouets japonais", l’académicien Marc Fumaroli déclarait :

« Pourquoi dissimiler au public le fait que l’art dit "contemporain", cette image de marque inventée de toutes pièces par un marché financier international, n’a plus rien de commun, ni avec tout ce que l’on a appelé "art" jusqu’ici, ni avec les authentiques artistes vivants mais non cotés à cette Bourse ? » Et de citer le sociologue Alain Quemin dans le n°466 du Journal des Arts dans son article intitulé "Question de méthode" :

« Nous avons décidé de considérer comme "art contemporain" ce qui est défini comme tel par le monde social constitué autour de cet objet, notamment par des instances de qualification et de sélection dont l’activité s’accompagne d’opérations de jugement qui s’appuient sur des valeurs communes ».

Suite à ces réflexions, il est aisé de comprendre que l'art contemporain est une comédie orchestrée par une oligarchie d’intérêt qui manipule malicieusement le verbe et le substantif et se donne ainsi le pouvoir d’asperger d’eau bénite les ignorants. Nous ne sommes pas dans le temps de Prométhée ou celui de la production de vraies richesses artistiques mais dans celui d’Hermès qui est celui de la communication d’un théâtre d’ombres. La grand-messe est dite quand on fabrique de la valeur sans fabriquer de la richesse. La richesse est affaire de culture alors que la valeur est affaire de jeu boursier. Nietzche disait déjà dans " Ainsi parlait Zarathoustra" « Tout ce qui a un prix a peu de valeur ». Dans un musée ou en présence d’une œuvre d’art, on ne doit pas consommer, on cherche à se cultiver. Paul Cézanne disait que Le Louvre est un livre où l’on apprend à lire. Boire du jus d’intelligence est ce qu’il faut conseiller à nos enfants.

Le retranchement impérial dans lequel s’affiche la griffe "art contemporain" dévoile ainsi sa faiblesse et sa pathologie dissimulatrice. Car il ne s’agit plus d’art bien évidemment. Il s’agit d’autre chose qui ressort d’une forme d’aliénation que les seigneurs du commerce tentent de faire légitimer. Il en va de leurs intérêts financiers, et l’argent qu’ils ont investi ne doit en aucun cas être investi à perte. La publicité mercantile faite autour de l’art dit contemporain ressemble au gavage des oies. Les oies innocentes en meurent et leurs bourreaux s’enrichissent. Large coalition de certaines élites du monde de l’art dont le rôle est de se persuader de ce qu’ils racontent.

L’amour du vide est une maladie moderne dont l’art contemporain est un vecteur de rupture idéologique et politique. Pour enchaîner les hommes il faut d’abord les endormir. Et comme disait Charlotte Perriand « Le vide est tout puissant car il peut tout contenir ». Le sinistre constat est que l’amour du vide est enfanté par des cerveaux vides et fabrique des cerveaux vides. Où est le beau dans tout cela ? L’académicien d’aujourd’hui François Cheng a admirablement réhabilité cette notion de beau. Il fait suite à Platon qui disait que « Le beau c’est la splendeur du vrai ». L’âme humaine drapée dans l’épitoge du beau, une formule que les artistes devraient adopter comme devise. Écoutons André Malraux qui affirmait que l’art devait honorer et transmettre la noblesse de l’homme. Nous ne pouvons oublier que l’art a aussi pour fonction de véhiculer la monstruosité de l’existence, mais qu’il doit toujours le faire sous la forme du beau. Soyons fier d’employer ce mot.

Il est aujourd’hui interdit dans nos prestigieuses écoles d’art de prononcer le mot beau au risque d’être flagellé par les élites auto proclamées de la bien-pensance et du goût qui se perdent en génuflexions devant l’art du dévaloir. L’art n’est pas un dépotoir dans lequel on jette librement ses échecs personnels. Andy Warhol résumait bien l’esprit de notre époque quand il disait qu’il était connu pour sa notoriété. Laissons Edgar Degas lui répondre par : « Il a réussi mais dans quel état ! ». Mais ce n’est pas la fin de l’Histoire. Il faut certes changer ce qui doit l’être mais conserver ce qui vaut. La beauté intemporelle a de l’avenir.

Pour conclure, méditons le propos de Régis Debray : « Nous n’avions pas prévu le retour, flambant neuf, de l’ancien». Et Emmanuel Kant de déclarer : « Est beau ce qui plaît universellement sans concept ». L’art dit contemporain n’a d’universel que son rejet de la beauté et son ignorance du goût. Les élites financières qui en sont les promotrices se soucient de la culture comme de colin-tampon. Espérons que nos enfants sauront échapper à l’étreinte délétère et pernicieuse des fossoyeurs de l’art.