Par Christophe Baillat

Prologue

Des montagnes bordent Saint-Girons, ce sont les Pyrénées ariégeoises. Mon père s’y trouve. Nous aurions dû l’y rejoindre, le confinement nous en a empêchés. Retour en arrière. Le 29 février, il vient avec le livre : un été sur la Bièvre d’Adrien Gombeaud, déjeune avec nous. A 15 h, nous assistons à une visite théâtralisée[1] de la Maison Léon Blum à Jouy-en-Josas. Puis il rentre à Savigny-le-Temple et, le lendemain, prend le volant direction l’Ariège via Limoges. Il emprunte ce trajet depuis environ soixante ans.

Il a vu la messe de Pâques à la télévision et invité des amis pour un apéritif sur WhatsApp. En ces temps de Coronavirus, les apéros à distance sont à la mode. Ainsi a-t-il retrouvé ses frères humains, si peu nombreux à sortir dans la rue. Mon père est seul à St-Girons, ai-je envie de chanter sur un air d’Aznavour (Comme ils disent). Nous échangeons par email et SMS, nous nous appelons aussi plus que de coutume. C’est ainsi que j’ai pu lui écrire : Le silence est un coup terrible porté à l’oreille de l’homme, phrase qui m’est venue en écoutant le Président de la synagogue de la rue Copernic à Paris, invité d’un dialogue inter-religieux sur 100, 7 FM. Peut-être même est-elle de lui. L’éloignement a des vertus, il me fait être plus attentif à ce que mon père dit, écrit.

Nous avions une belle série devant nous.

Une soirée à Tours, envolée, puis le Couserans est tombé à son tour, et la Dordogne prévue à Pâques. La famille on ne verra pas et la Russie non plus, enfin pas cette année. Tout s’est effondré comme un château de cartes. Effet domino dévastateur, ai-je écrit à mon frère, Jean-Michel, né quatre ans avant moi, en 1959 à St-Girons. Déprogrammés aussi, nos Quatuors de Beethoven au Théâtre des Champs-Elysées. Il serait venu de Belgique et nous nous serions retrouvés à Paris.

Il n’y a plus personne à la ronde.
Tout tombe à l’eau.

Comme on voit par transparence,
le soja, la menthe, les crevettes,
dans un rouleau de printemps à travers la feuille de riz,
tu retrouves au fond de l’eau,
si tu la regardes comme un miroir, tes places au Théâtre des Champs-Elysées et Chez Francis, le restaurant où nous avions réservé.

Chacun de nous imagine Papa confiné, d’autant qu’il communique facilement par tous les moyens. Lorsque les cloches sonnèrent en France à la demande des évêques, durant dix minutes, après plusieurs semaines (3 ?) de confinement, il enregistra celles de l’église de Lédar, proche de la maison et nous envoya sur son téléphone, la photo où l’on aperçoit une partie du premier étage de la maison et la pointe du clocher. Notre grand-mère (maternelle) eut certainement été heureuse de ce geste.

En mars 2020, nous devions prendre avec ma femme un avion à Orly, atterrir à Toulouse et rejoindre mon père. Nous fûmes bloqués[2] à la maison, à Jouy-en-Josas. Plutôt que de tourner en rond, Valérie, préféra renoncer à ses vacances. C’est le moment que j’ai mis à profit pour entreprendre ce récit.


[1] Texte et mise en scène de Sabine Paquette, avec, notamment Léon Blum joué par Pascal Blanc

[2] Sur cette époque si étrange, arrivée brutalement - le philosophe Gaspard Koenig écrit qu’il eut l’impression de passer de la paix à la guerre (sanitaire) du jour au lendemain